Enquête : Télétravail – qui gagne, qui perd ?

10. mars 2021
10. mars 2021 admin

Enquête : Télétravail – qui gagne, qui perd ?

Le succès du télétravail dépend moins de l’emploi lui-même que des conditions de logement des télétravailleurs. C’est ce que révèle une enquête plus large pour laquelle des économistes de l’Université technique (TU) de Darmstadt en Allemagne ont étudié la situation des salariés, ainsi que les opportunités et risques du travail à la maison. Autre résultat de cette étude : la généralisation du télétravail présente un risque potentiel de division de la société.

C’est avec le premier confinement de la pandémie de Covid que le phénomène du télétravail s’est retrouvé sous les feux de la rampe. Dès le début de la crise, des chercheurs du département de gestion immobilière et de gestion de la construction de l’Université technique de Darmstadt, avec le soutien du département de marketing et de gestion des ressources humaines, ont alors lancé une vaste enquête auprès des employés de bureau allemands. L’équipe de recherche s’est en effet penchée sur ces questions : Comment et où travaillent-ils à la maison ? Comment perçoivent-ils ce travail à domicile ? Quelle est la productivité du télétravail et qu’est-ce qui détermine son succès ? Cette étude extensive s’est déroulée en trois phases sur les mois de juin, août et octobre 2020. En tout, 952 employés ont participé aux trois phases de l’enquête, avec un panel très représentatif de toutes les catégories d’employés de bureau en Allemagne.

Les résultats de cette étude dressent un tableau nuancé. D’une part, ils montrent que la réalité du télétravail diffère très largement de sa perception dans la société. Avant la pandémie déjà, les salariés travaillant de chez eux étaient plus nombreux qu’on ne le pensait. D’autre part, le travail « intellectuel » se prête beaucoup moins au travail à domicile qu’on ne le pense généralement. En outre, plus d’un tiers des employés ont déclaré travailler de manière moins productive à la maison qu’au bureau. Autre révélation : Plus les personnes interrogées avaient d’expérience avec le télétravail au-delà de l’année 2020, plus cette tendance s’accentuait.

L’enquête suggère également que le facteur le plus important repose ici sur le lieu de travail. « Les conditions de logement des employés pèsent lourdement sur l’efficacité de leur télétravail », explique le professeur Andreas Pfnür, directeur du département de gestion immobilière et de la construction. L’étude révèle en effet que les conditions de logement constituent le principal critère pour les entreprises lorsqu’il s’agit de décider quels employés peuvent travailler efficacement de la maison. « Les conditions de logement sont ici plus significatives que le type d’emploi ou le nombre d’enfants », poursuit M. Pfnür, qui ajoute : « Nous ne nous attendions pas à ce résultat. » Plus les participants à l’enquête se disaient satisfaits de leur logement, de l’emplacement et des équipements, plus ils se déclaraient satisfaits et productifs dans leur télétravail.

Au-delà des bonnes conditions de logement, les chercheurs ont identifié d’autres facteurs favorables au bureau à domicile. Ce sont surtout les tâches complexes et variées, ainsi qu’une plus grande autonomie de travail, qui déterminent la réussite professionnelle du télétravail. Cette réussite se confirme également davantage chez les employés plus âgés, mieux rémunérés et professionnellement expérimentés, tout comme chez les employés à temps plein plutôt que ceux à temps partiel. Les célibataires ont quant à eux manifestement trouvé particulièrement difficile de travailler de chez eux. Non seulement l’isolement, mais aussi l’évolution de carrière, ont joué un rôle à cet égard. « L’interaction sociale directe avec les collègues, la possibilité d’apprendre de collaborateurs plus expérimentés et les opportunités de carrière sont plus compliquées en télétravail », explique M. Pfnür. « C’est en partie l’identification avec le travail qui disparaît ici pour les jeunes salariés. Il en résulte alors une moindre satisfaction dans la vie en général. »

De grandes opportunités avec une bonne gestion des risques

L’étude montre ainsi que le télétravail ne peut être généralisé à tout type de travail de bureau et que les bureaux traditionnels continueront d’exister. Néanmoins, utilisé correctement et dans de bonnes conditions – telles que de meilleures infrastructures et une décision volontaire en faveur du travail à la maison de la part des employés – le travail de la maison offre à l’avenir de nombreuses opportunités pour continuer à améliorer la réussite professionnelle des individus. Cela dit, « sans processus actif de changement, les risques du travail à domicile révélés ici par les données empiriques de notre étude menacent de devenir incontrôlables », déclare M. Pfnür.

Si le secteur public et les employeurs ne prennent pas de contre-mesures, un monde du travail reposant sur le bureau à la maison pourrait en effet entraîner différents bouleversements sociaux. « Le bureau à domicile ouvre la voie à une société à deux classes pour tous les employés de bureau », affirme M. Pfnür. On aurait d’un côté des employés qui pourraient dans une large mesure travailler de chez eux parce qu’ils auraient le confort adéquat ou parce que leur emploi est suffisamment attrayant ; et de l’autre, des personnes qui réussiraient moins bien dans leur télétravail en raison de leurs mauvaises conditions de logement ou qui souffriraient des coûts supplémentaires liés au travail à domicile. « Le bureau à la maison est alors en passe de devenir un symbole de prestige pour les gagnants du nouveau monde du travail. »

Les conclusions de cette étude ont donc des conséquences non seulement pour les employeurs, mais aussi pour la politique, le secteur de l’immobilier et la planification urbaine. Les chercheurs de la TU élaborent donc actuellement recommandations pour ces différents groupes. En outre, des données récoltées au niveau international seront également évaluées.